Nos Guerres

Album Nos Guerres. David Benito (texte), Laurent Bourlaud (dessin), Patrice Cablat (couleur). Éditions Cambourakis, Oct 2010.

Nos guerres, un roman graphique de  David Benito (texte), Laurent Bourlaud (dessin), Patrice Cablat (couleur) paru le 10 Octobre 2O1O aux éditions Cambourakis.

l’histoire :

Roman graphique choral, Nos guerres fait entendre un ensemble de voix écrasées par la guerre industrielle et moderne, une guerre jamais nommée précisément, mais proche de la Première Guerre Mondiale.
Dix récits se succèdent, d’une grande diversité de points de vue, qui tous réduisent à néant les illusions sur l’héroïsme guerrier : de l’officier aristocrate contraint à des actes qui lui répugnent au troufion perdu dans le labyrinthe des tranchées en passant par le paysan pris en tenaille par les champs de bataille, c’est toute l’absurdité cruelle de la guerre qui s’exprime dans ces courts récits.
Chaque histoire est dessinée et mise en page différemment, en adéquation avec le discours, le niveau social, les références picturales que le texte peut évoquer. Le traitement graphique fait référence tantôt aux avant-gardes, tantôt au dessin de presse ou aux débuts de la bande dessinée, mixés parfois avec des éléments beaucoup plus modernes.
Cette vision kaléidoscopique évite tout manichéisme, et affronte au contraire la question de l’ambiguïté du rapport des hommes (et des femmes) à la guerre.
Le livre s’ouvre sur un prologue narratif, qui donne la parole à un vieil homme riche, mutilé, partisan artiste de la guerre. On peut supposer que l’esprit tourmenté de ce personnage désagréable constitue le théâtre où se déroulent les dix récits.

Postface de Thierry Smolderen scénariste et théoricien, spécialiste de l’Histoire de la bande dessinée.

Découvrez ci-après la couverture du livre et quelques planches, extraites des divers chapitres du livre :

Presse

Télérama

La Grande Guerre comme réservoir sans fond de cauchemars vécus, la bande dessinée y puise depuis toujours, et Tardi reste la référence insurpassable (lire et relire C’était la guerre des tranchées). Un trio d’auteurs quasi inconnus y plon ge à son tour avec un brio renversant. Le premier regard bute sur une structure éclatée, une mise en scène graphique hé téroclite, et tout renvoie à l’exercice de style. Pourtant, ce puzzle se révèle d’une cohérence remarquable.

En dix brefs récits, défilent un galonné mutilé qui commanda un peloton d’exécution, un poilu malade à crever d’avoir mangé du rat, une noble infirmière dont l’idéal s’effrite dans l’horreur quotidienne, deux troufions cousins condamnés à se flinguer d’une tranchée à l’autre… Autant de destins indi viduels, autant de voix déconnectées les unes des autres qui, ensemble, font une sorte de mémorial brut à l’homme con fronté au pire, dépassé, avec ses faiblesses, ses souffrances, sa révolte, sa naïveté, voire son abjection. Chacune de ces histoires est déclinée dans un style et des références picturales « d’é poque », revisitées avec une impertinente et, en même temps, très pertinente distance. Brillante idée, car l’ironie trempée d’humour noir façon L’Assiette au beurre, les trivialités à gros traits de la blague dessinée, les froides architectures « modernistes », mais aussi les déclinaisons cubiste, sulpicienne ou d’art brut dé sin tègrent tout discours moralisateur ou édifiant avec une corrosive ironie. Et traduisent à cru, de manière imparable, quelque chose d’une vérité hu maine universelle.

Jean-Claude Loiseau.
Telerama n° 3187 – 12 février 2011

Le Monde

Déroutant, inclassable mais exemplaire de l’évolution de la bande dessinée, Nos guerres est un livre époustouflant d’intelligence scénaristique et graphique, qu’il s’agisse du découpage, du dessin ou de la perspective choisie par les personnages. Protéiforme, Nos guerres est axée, comme son titre l’indique, sur le thème de la guerre, berceau générique du XXe siècle dont le rejeton surdoué et emblématique reste la première, celle de 1914-1918, « la mère de toutes les guerres ».

Les trois auteurs ne se contentent pas d’un récit linéaire ni d’un découpage classique. Dix chapitres, dessinés en pleine page ou en quelques cases inscrustées de vignettes, font parler dix protagonistes de « leur » guerre, via des textes en réserve comme c’était l’habitude en BD avant que la bulle n’apparût. Un aristocrate mutilé ouvre le bal, suivi par des cousins « germains » séparés par le conflit ; un « poilu » victime de diarrhée après avoir avalé du rat ; une infirmière de noble souche qui découvre le versant sale de la guerre ; des soldats tonkinois réchauffant sous leurs blessures les révolutions à venir ; un jeune tuberculeux qui se reproche de ne pas être au front…

Chaque témoignage, frappé d’ironie mordante, d’horreur franche ou d’humour noir, bénéficie d’un style qui lui est finement adapté. Les déliés de l’art déco font le pendant au dessin de presse façon L’Assiette au beurre, la raideur néostalinienne aux icônes sulpiciennes, le Bauhaus à l’art naïf, le tout habillé de couleurs idéalement froides ou neutres. Cette palette de coloris et de traits donne un aspect distancié à Nos guerres tout en soulignant l’absurde mais inaltérable liaison entre guerre et humanité.

Yves-Marie Labé.
LE MONDE DES LIVRES | 17.12.10

BoDoï

Ce sont des histoires de tranchées, de morts, de vies détruites, au cours d’un conflit non nommé, qui semble être la Première Guerre mondiale.

Dans Nos guerres, le scénariste David Benito raconte au fil de dix chapitres des bribes d’existences, parfois drôles, souvent tragiques. Il y a cet enfant dont le frère est mort au front, qui s’enfuit avec ses autres frères, mais connaîtra un sort tout de même fatal. Ou bien ce soldat qui détaille de façon grivoise les moeurs lestes d’une certaine Victorine. Ou encore un adolescent tuberculeux coincé dans un sanatorium, honteux de ne pas se battre…
Ces courts récits sont dessinés par Laurent Bourlaud et soigneusement mis en couleurs par Patrice Cablat. Chacun bénéficie d’une identité graphique propre, d’un traitement narratif différent. On plonge à chaque fois, sur quelques pages, dans un univers unique, tantôt art nouveau, tantôt expressionniste, tantôt naïf… On regrette parfois un format un peu trop bref, qui empêche d’embarquer totalement avec les personnages. Mais on reste saisi par la puissance que dégage cet ouvrage dense et riche.

Bd Gest’

Le titre de l’ouvrage ne laisse guère de place au doute quant à sa thématique, mais sa couverture d’une grande élégance laisse présager d’un traitement particulier. Dès le départ, les auteurs brouillent les pistes. Est-ce une bande dessinée ? Un livre illustré ? À la lecture, ces questions perdent rapidement tout leur sens. C’est un livre, ni plus ni moins, qui mêle textes et images d’une façon qui lui est propre.

David Benito, Laurent Bourlaud et Patrice Cablat font de cet album un manifeste contre la guerre, dépeignant avec justesse mais sans lourdeur les effets collatéraux des conflits armés sur celles et ceux qui y participent, de près ou de loin. Contrairement à ce qu’une préface plutôt hermétique peut laisser supposer, le propos dégage une grande simplicité, loin d’un intellectualisme que la postface, à son tour, semble prôner. Qu’importent, en fin de compte, les analyses qui pourront en être faites et la portée que peut avoir cette démarche d’auteur sur le médium, le but est de parler d’atrocité et de désillusion, de peine et de sacrifice. Au-delà d’un parti-pris formel indéniablement intéressant, alternant les styles graphiques pour rendre dans sa diversité l’émotion que dégagent les différents chapitres, la réussite de l’entreprise tient avant tout dans la pertinence de son propos. Le style relève davantage du simple exposé que de la démonstration laborieuse et laisse l’évidence du message s’installer d’elle-même, et durablement, dans l’esprit du lecteur.

Les auteurs ne tirent pas pour autant sur la corde sensible et à aucun moment les émotions ne prennent le pas sur le côté factuel de l’ouvrage, notamment grâce à la distance imposée par un dessin d’une froideur surprenante. Les mots, eux aussi, font honneur à la place importante qui leur est dévolue. Finement ciselées, les phrases s’enchaînent ; elles accompagnent les illustrations en même temps qu’elles créent un espace, une marge, entre le public et les personnages dont la vie s’offre par bribes. Les pages défilent, mais lentement. Elles se gardent de céder à l’empressement, mais invitent au contraire à une lecture contemplative.

À l’heure de refermer le livre, l’impression qui prédomine est celle d’une découverte, d’une expérience finalement peu commune. Fond et forme se répondent dans ce recueil aux multiples facettes. Entre texte et images, un équilibre s’installe : ils se complètent, mais jamais ne se fondent, si ce n’est dans un vœu d’excellence.

D. Wesel

Expositions

Cité internationale de la bande dessinée et de l’image
du 27 janvier au 30 avril 2011
Musée de la bande dessinée, salle d’actualité

Laurent Boulaud, Patrice Cablat et David Benito photographiés par Nicolas Guérin.

BoDoï en parle:
Réalisée par Patrice Cablat, David Benito et Laurent Bourlaud, la bande dessinée raconte en dix récits – drôles, tragiques ou les deux à la fois – un conflit, que l’on soupçonne être la Première Guerre mondiale. Très marqué et révélateur d’influences picturales diverses, le style graphique change à chaque histoire courte. Il se montre ici pleinement, en grand format, ce qui augmente la puissance des images.


Photos © BoDoï.

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